Réfutation du point 2 de l’abbé Guy Pagès...

Dans son ouvrage Interroger l’Islam, l’abbé Guy Pagès prétend démontrer que chrétiens et musulmans n’adoreraient pas le même Dieu. Il fonde cette idée sur une série d’affirmations fragiles, souvent basées sur des contresens théologiques et linguistiques. Le point 2, que nous examinons ici, repose sur une vision réductrice de l’Islam et sur une méconnaissance profonde de la tradition abrahamique dans son ensemble.

L’objectif de cet article est simple : montrer, calmement et avec rigueur, en quoi ses arguments sont infondés, et rappeler ce que disent réellement la tradition islamique et l’histoire des monothéismes.

1. L’affirmation centrale de Pagès : “Les chrétiens et les musulmans adorent un seul Dieu, mais pas le même”

L’abbé Pagès reconnaît que musulmans et chrétiens professent l’existence d’un Dieu unique… pour ensuite conclure qu’ils ne peuvent pas adorer le même, car leur conception de Dieu serait trop différente.

C’est un raisonnement circulaire :

  • il admet l’unicité divine,
  • mais nie les implications logiques de cette unicité.

Pourtant, un seul Dieu signifie précisément une seule Réalité divine, non deux entités séparées.

● Le Coran lui-même affirme explicitement que Dieu est le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Jésus

Ce que Pagès omet totalement, alors que c’est central :

« Dites : Nous croyons en Dieu, en ce qui nous a été descendu, en ce qui a été descendu à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et aux Tribus… et en ce qui a été donné à Moïse et à Jésus… Nous ne faisons aucune distinction entre eux. »
(Qur’ān 2:136)

C’est littéralement la profession de Foi d’un monothéisme partagé.
L’islam ne crée pas un autre Dieu : il réaffirme le Dieu abrahamique.

Une autre histoire de l’Alliance abrahamique - Ahmadou Makhtar Kanté -
Dans cette seconde édition, l’auteur enrichit et précise les analyses de son premier ouvrage, « Muhammad, le Sceau des prophètes. La part d’Ismaël dans l’histoire de l’Alliance abrahamique ». Il aborde des questions clés telles que la nature de l’Alliance abrahamique et son lien avec l’islam, les concepts théologiques

2. La thèse de Pagès : “Allah est solitaire et impersonnel, donc pas le Dieu chrétien”

Il affirme qu’Allah serait :

  • « un être solitaire »
  • « un Dieu sans relation »
  • « un Dieu impersonnel »

Cette description n’a rien à voir avec l’Islam réel.

L’Islam affirme au contraire qu’Allah est proche, aimant, compatissant, miséricordieux et attentif à l’homme

« Nous sommes plus proches de l’homme que sa veine jugulaire. » (50:16)
« Mon serviteur se rapproche de Moi… et quand il s’approche, Je Me rapproche de lui. » (Hadith Qudsi)
« Dieu est plein de bonté et de miséricorde envers les croyants. » (33:43)

Rien de “solitaire”.
Rien “d’impersonnel”.
Rien “d’inaccessible”.

Pagès projette simplement sa théologie trinitaire sur l’Islam, puis reproche à l’Islam… de ne pas être chrétien.

● Le mot “personne” n’existe pas en arabe ? Argument absurde.

Il prétend que le mot “personne” n’existerait pas en arabe, et que cela empêcherait l’Islam d’adopter la notion chrétienne de “Personnes divines”.
C’est un contresens linguistique et théologique :

  • Le langage biblique hébreu non plus n’utilise pas le concept philosophique grec de “personne” appliqué à Dieu.
  • Les premiers chrétiens eux-mêmes ont mis trois siècles à élaborer ce vocabulaire.

Il est donc absurde d’accuser l’Islam d’une absence conceptuelle… qui n’existait même pas dans la tradition biblique d’origine.

L’argument est irrecevable.


3. L’erreur majeure : confondre “relation intradivine” (Trinité) et “relation Dieu-créature”

Pagès affirme :

  • que le Dieu chrétien serait “relation” car Trinité,
  • et que le Dieu musulman serait “non-relation” car Un.

C’est une erreur théologique.

● Aucune religion abrahamique antérieure au christianisme n’enseigne une “relation interne” en Dieu

Et pourtant :

  • Abraham aime Dieu,
  • Moïse parle à Dieu,
  • David invoque Dieu,
  • Jonas se tourne vers Dieu.

La relationalité divine ne dépend PAS de la Trinité.
Dire le contraire reviendrait à affirmer que tous les prophètes bibliques n’ont jamais connu le “vrai Dieu”, ce que Pagès n’ira évidemment jamais affirmer explicitement — bien qu’il en pose les bases logiques.

● L’Islam affirme clairement la relation entre Dieu et Ses créatures

“Il répond à l’appel de celui qui L’invoque.” (2:186)
“Dieu est le Protecteur de ceux qui croient.” (2:257)

Un Dieu insensible ? Impersonnel ? Aucun théologien musulman, classique ou contemporain, ne soutient cela.

Pagès attaque un Islam imaginaire.


4. “Les musulmans ne connaissent jamais Dieu” : une affirmation théologiquement vide

Il cite le verset :

« Les êtres des cieux et de la terre ne connaissent pas l’insondable, mais Dieu seul le connaît » (27:65)

Ce verset dit simplement :
Dieu connaît l’invisible, pas les créatures.

Exactement comme la Bible :

« Les pensées de Dieu, personne ne les connaît, si ce n’est l’Esprit de Dieu. »
(1 Corinthiens 2:11)

Pagès présente comme une critique… ce qui est identique dans sa propre tradition.

● Dans l’Islam, Dieu se fait connaître par Ses Noms

Les 99 Noms divins sont précisément une doctrine de connaissance de Dieu :

  • Le Miséricordieux (Ar-Raḥmān)
  • Le Très Miséricordieux (Ar-Raḥīm)
  • Le Pardonneur (Al-Ghaffār)
  • Le Sage (Al-Ḥakīm)
  • Le Juste (Al-ʿAdl)
  • Le Bienveillant (Al-Laṭīf)

Les spirituels musulmans ont produit des bibliothèques entières sur la connaissance de Dieu (maʿrifa). Dire que l’Islam ne connaît pas Dieu est simplement faux. Nous n'ignorons pas que Guy Pagès, concernant l'Islam, est extraordinairement malhonnête...


5. Le contresens final : “Si Allah est inconnaissable, pourquoi s’y intéresser ?”

Pagès confond :

  • l’essence de Dieu (inaccessible à tout esprit créé — même dans le christianisme),
  • avec
  • la connaissance de Dieu par Ses actes, Ses signes, Sa révélation, Ses attributs, accessible à l’homme.

Les chrétiens ne connaissent pas l’essence divine non plus :
Dieu reste “Mystère absolu”.
Thomas d’Aquin le dit explicitement.

L’argument de Pagès serait donc valable contre sa propre théologie.


Conclusion : un Dieu unique, une tradition abrahamique commune, et une polémique sans fondement

Le point 2 de l’abbé Pagès repose :

  • sur des confusions théologiques,
  • des erreurs historiques,
  • des arguments linguistiques infondés,
  • et une caricature complète de la foi musulmane.

L’Islam affirme avec force :

  • l’unicité de Dieu,
  • la continuité abrahamique,
  • la proximité divine,
  • la relation Dieu-homme,
  • et la connaissance de Dieu par Ses attributs.

Aucune religion abrahamique antérieure à la théologie trinitaire n’a jamais considéré que Dieu devait être “relation interne” pour être le vrai Dieu.
Affirmer que l’Islam adore un autre Dieu revient implicitement à déclarer qu’Abraham, Moïse, David et Jonas n’adoraient pas non plus le “vrai Dieu”, conclusion intenable.

Musulmans et chrétiens diffèrent dans leur compréhension de Dieu — mais ils parlent du même Être suprême, du même Créateur, du même Dieu d’Abraham.

Ce que Pagès essaie de nier, l’histoire, les textes et la logique le confirment.


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Note supplémentaire :

Réfutation : oui, le mot “personne” existe en arabe

L’abbé Pagès affirme que le mot « personne » n’existerait pas en arabe, ce qui empêcherait l’Islam de concevoir un Dieu “personnel” ou “en relation”.

Cette affirmation est linguistiquement fausse.

✔ En arabe, les mots suivants signifient “personne”, “individu”, “être”, “personnalité” :

  • شخص (shakhs) : personne, individu, personne humaine, “personnalité”.
  • نفس (nafs) : personne, soi, âme, être individuel.
  • ذات (dhāt) : essence, être, personne au sens métaphysique ou existentiel.
  • إنسان (insān) : être humain (contexte de personnalité humaine).
  • آدمي (‘ādami) : être humain, personne.

Le Coran utilise شخص, نفس, ذات, etc.
Les théologiens musulmans utilisent massivement ces termes depuis 14 siècles.

✔ Exemple : “shakhs” (personne) est utilisé dans les dictionnaires arabes classiques

Dans Lisān al-‘Arab (Ibn Manẓūr) :

الشخص : الإنسان بعينه
“Shakhs : l’être humain en tant que personne distincte.”

Donc dire que l’arabe n’a pas le mot « personne » relève soit d’une ignorance totale de la langue, soit d’un argument volontairement fallacieux.


Réfutation théologique : la notion de personne est présente, même si le mot grec “prosopon” ne l’est pas

En réalité :

  • Le mot personne au sens théologique (prosopon, hypostasis) est un concept forgé par les conciles chrétiens des IVᵉ–Vᵉ siècles.
  • Ni Jésus, ni les apôtres, ni l’hébreu biblique n’utilisaient ce vocabulaire.

Ce n’est pas l’arabe qui pose problème :
c’est la Trinité qui impose des catégories philosophiques grecques inexistantes dans les langues sémitiques.

Reprocher à l’Islam de ne pas utiliser un concept inventé trois siècles après Jésus… n’a aucun sens.


Pour résumer cette note :

Le mythe linguistique : “L’arabe n’a pas le mot personne”

L’abbé Pagès affirme que l’absence du mot “personne” en arabe empêcherait l’Islam de concevoir un Dieu “personnel”. Cet argument est incorrect : le mot existe bel et bien, et même sous plusieurs formes. L’arabe classique utilise notamment :

  • shakhs (شخص) : personne, individu, personne humaine ;
  • nafs (نفس) : personne, soi, individu ;
  • dhāt (ذات) : essence, être, “personne” au sens métaphysique.

Ces termes sont abondamment employés dans la littérature coranique, juridique et théologique depuis quatorze siècles.

Cependant — point fondamental que Pagès semble ignorer — le fait que l’arabe possède des mots pour désigner une “personne humaine” n’autorise absolument pas leur application à Dieu, car Dieu n’est pas un être humain. Dire qu’il existe un mot pour “personne” n’implique pas que ce mot puisse être utilisé pour qualifier l’essence divine.
L’Islam, comme le Judaïsme, refuse précisément d’appliquer aux attributs de Dieu des catégories propres à la condition créée : Dieu n’est ni un corps, ni une âme, ni un individu au sens humain, ni une “personne” au sens anthropologique.

En d’autres termes :
➡️ oui, la langue possède le mot ;
➡️ non, cela n’autorise pas son usage théologique pour Dieu.

Confondre ces deux plans relève d’un contresens majeur.

L’argument de l’abbé Pagès repose donc sur une seconde confusion :
il mélange le mot grec prosopon, élaboré par les conciles pour définir les “personnes” de la Trinité, avec le simple mot “personne” au sens humain ordinaire. Or :

  • Ni l’hébreu biblique,
  • ni l’araméen parlé par Jésus,
  • ni les Écritures mêmes du christianisme primitif

n’utilisaient ce concept philosophique.

Exiger que l’arabe reprenne un vocabulaire forgé au IVᵉ siècle revient donc à reprocher à l’Islam de ne pas se conformer à une catégorie conceptuelle inventée longtemps après les révélations bibliques elles-mêmes. C’est anachronique, artificiel, et théologiquement infondé.