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Le 21 mai 2025, un rapport confidentiel sur l’"entrisme des Frères musulmans" a été présenté en Conseil de défense. La veille, comme par hasard, le Figaro s’en faisait l’écho, titrant de manière spectaculaire : "Réseau tentaculaire, organisation secrète, quartiers islamisés". Une fuite qui ne devait rien au hasard, tant elle a servi de tremplin à une nouvelle campagne politico-médiatique ciblant les musulmans de France.

Certains prétendront que cette campagne ne visait que les “Frères musulmans” — une entité floue dont l’existence réelle en France reste à démontrer. Mais chacun aura constaté que, dans les faits, les unes des journaux ont très souvent braqué leur objectif sur nos sœurs musulmanes, en particulier celles qui portent le Hijab. Ce voile, pourtant, n’est rien d’autre qu’une pratique religieuse ancrée dans l’Islam depuis toujours, mais c’est lui qu’on expose, qu’on suspecte, qu’on stigmatise.

Un rapport sans preuves, mais riche en soupçons

Officiellement classifié, ce rapport n’a pas été publié dans son intégralité, mais plusieurs médias proches du pouvoir en ont relayé des extraits alarmistes. On y parle de "dissimulation", de "respect apparent des règles", d’un "double discours" menaçant les fondements de la République. Pourtant, même le rapport l’admet : aucun élément concret ne démontre une volonté d’imposer la Charia en France. Aucun projet structuré, aucun plan d’action identifié.

Alors pourquoi une telle agitation ? Pourquoi cette surmédiatisation d’un document flou, peu probant, et qui recycle des accusations vieilles de plusieurs décennies ? Et ce juste après la mort d'Abou Bakr qu'Allah Lui Fasse Miséricorde : amîne ?

La mécanique bien huilée du soupçon islamophobe

Comme souvent, les mots comptent plus que les faits. Le mot "entrisme", repris en boucle, désigne en réalité tout signe visible d’islamité dans l’espace public. Une association sportive ? Soupçon. Une étudiante voilée ? Entrisme. Un collectif de soutien à la Palestine ? Frérisme déguisé.

Le message implicite est clair : tout musulman engagé ou visible devient suspect. Non parce qu’il a commis un crime, mais parce qu’il pourrait penser différemment. Et cette "différence" est perçue comme un péril.

Ainsi, on passe d’un islam supposé "séparatiste", qui refusait de s’intégrer, à un islam aujourd’hui accusé de trop bien s’intégrer, de "s’infiltrer". Qu’on s’organise ou qu’on reste discret, la conclusion est la même : menace.

Une vieille obsession recyclée à l’infini

Le fantasme d’un complot frériste en France ne date pas d’hier. Il est le fruit d’un vieux combat idéologique, lancé notamment par Caroline Fourest dès les années 2000 contre Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères musulmans. Depuis, cette obsession a été institutionnalisée, jusqu’à inspirer aujourd’hui les discours de nombreux politiques – d’Atal à Retailleau, en passant par Valls et Bardella.

Dans cette logique paranoïaque, l’absence de preuve devient la preuve même du danger. S’il n’y a rien, c’est que tout est bien caché. Et s’il y a quelque chose, c’est la confirmation d’un projet occulte. Un raisonnement digne des théories du complot, largement dénoncées ailleurs… sauf quand elles visent les musulmans.

Une stratégie électorale, pas sécuritaire

Le retour de ce discours n’a rien de fortuit selon Blast. Il intervient dans un contexte de montée de l’indignation populaire face à l’inaction de l’État sur Gaza, à l’assassinat islamophobe d’Aboubakar Sissé dans sa mosquée, et à une visibilisation accrue des musulmans dans l’espace public. Face à cela, les élites politico-médiatiques choisissent de détourner l’attention : au lieu de parler de la violence subie, on fantasme une violence invisible, future, organisée, qui viendrait des mosquées, des clubs de sport, voire des universités.

On entretient ainsi un climat de peur, dans lequel le simple fait d’être musulman devient politique. Ce climat empêche toute structuration légitime des musulmans : se rassembler, militer, éduquer devient "islamiste". C’est une stratégie qui vise à décourager toute existence publique de l’islam en France.

L’islamophobie respectable

Ce discours est d’autant plus dangereux qu’il est légitimé par les élites. Il ne se diffuse pas sur des forums obscurs, mais dans les grands médias, dans les plateaux télé, dans les colonnes des journaux dits "de référence". C’est ce que les chercheurs nomment le "complotisme respectable" : une rhétorique paranoïaque, mais avalisée parce qu’elle vise une minorité déjà stigmatisée.

Le sociologue Franck Fregosi, auditionné pour ce rapport, l’a dit clairement : le décalage entre la réalité sociologique et la narration sécuritaire est abyssal. Mais qu’importe la réalité, quand le fantasme permet de proposer de nouvelles lois (en réalité des punitions collectives), de séduire l’électorat conservateur et de nourrir une campagne présidentielle en gestation.


En vérité, derrière ce rapport et selon Blast, il ne s’agit pas d’empêcher une prise de pouvoir islamiste imaginaire, mais de brider les droits et les libertés réels de citoyens français, musulmans, dont le seul tort est d’exister autrement que dans la norme dominante. L’heure n’est pas à la lutte contre une organisation fantôme, mais à la lutte contre l’islamophobie d’État, celle qui habille de termes techniques une vieille haine coloniale.