Et si nous méditions le questionnement orienté de Jean Messiha...
Ceux qui alimentent l'islamophobie d'atmosphère n'évoquent jamais ce qui précède... Jamais... Sans excuser n'oublions pas les politiques étrangères et l'appauvrissement intellectuel et économique...

L’Occident à l’origine du chaos moyen-oriental
Les conflits actuels au Moyen-Orient découlent largement d’interventions et de jeux d’alliance occidentaux, et non de quelque « incompatibilité » avec l’islam. Par exemple, l’invasion de l’Irak en 2003 par les États-Unis a démantelé l’État irakien et son armée, créant un vide de pouvoir qui a servi de terreau à l’émergence de l’organisation kharidjite État islamique - atlanticcouncil.orgaljazeera.com.
De même, l’intervention de l’Otan en Libye (2011) a renversé Kadhafi mais plongé le pays dans le chaos, permettant à l’EI de s’y installer rapidement - theguardian.com. En Syrie, le soulèvement de 2011, amplifié par des appuis étrangers (États-Unis, France, Royaume-Uni, Arabie Saoudite, Qatar, etc.), a fragmenté le pays et alimenté la prolifération de groupes kharidjites - cfr.org.
D’une manière générale, les puissances occidentales ont longtemps soutenu des dictateurs (Saddam Hussein, Moubarak, Assad à l’époque) pour des raisons géopolitiques, puis renversé certains d’entre eux sans prévoir l’après. Ces choix de politique étrangère ont souvent attisé le ressentiment et créé des vides de pouvoir propices à l’extrémisme, bien plus que la foi religieuse des peuples visés - atlanticcouncil.orgtheguardian.com.

L’islam, intrinsèquement violent ?
Historiquement, l’islam ne signifie pas violence : au contraire, de nombreux écrits anciens soulignent la protection accordée aux non-musulmans. Par exemple, dès le VIIᵉ siècle, un traité connu sous le nom de pacte d’Umar assure formellement la « sauvegarde » des chrétiens et de leurs biens après la conquête musulmane: « Quand vous êtes venus dans ce pays, nous vous avons demandé la sauvegarde pour nous, notre progéniture, nos biens et nos coreligionnaires » - fr.wikipedia.org.
De tels engagements indiquent qu’il y a eu des mécanismes de protection et de cohabitation. L’apogée médiévale de la civilisation islamique (VIIIᵉ–XIIIᵉ siècle) a par ailleurs été marquée par un formidable essor scientifique et culturel, en grande partie nourri par un climat de coexistence relative. À Bagdad au XIIᵉ siècle, par exemple, 40 000 Juifs vivaient paisiblement, desservis par 28 synagogues et 10 écoles religieuses (yeshivot) - jewishvirtuallibrary.org. Ce « siècle d’or » a vu des savants musulmans, juifs et chrétiens travailler côte à côte (traduction des œuvres grecques, avancées médicales, etc.), attestant que l’islam, dans sa pratique quotidienne, n’est pas synonyme de violence. De nombreux historiens et textes religieux rappellent que le Coran et la Tradition parlent de protection des « gens du Livre » et de respect des pactes conclus - fr.wikipedia.org. En résumé, l’islam a une histoire riche en exemples de tolérance réciproque et d’échanges culturels, qui contredisent l’idée d’une religion fondamentalement belliqueuse.
La violence religieuse
Quand des extrémistes font parler la violence au nom de leur foi, on constate vite que toutes les grandes religions ont connu de tels dérapages – sans que l’on stigmatise pour autant leurs fidèles ordinaires. Les croisades chrétiennes (XIᵉ–XIIIᵉ siècles) constituent un exemple frappant: organisées par la papauté pour reprendre Jérusalem, elles ont engendré de véritables pogroms. Comme l’explique un historien juif, « les croisades étaient des « guerres saintes » menées par des chrétiens européens… [et] sur leur chemin, les foules zélées ont profité de l’occasion pour se débarrasser des « infidèles » parmi elles – en l’occurrence les Juifs – décimant de nombreuses communautés » - chabad.org. Au nom de la foi, l’Inquisition a condamné des milliers de personnes pour « hérésie », imposant des bûchers et des conversions forcées. Ainsi, l’Inquisition espagnole (XVe–XVIIIe siècle) a vu environ 150 000 procès et 3 000 à 5 000 exécutions (principalement de judéo-conversos) - en.wikipedia.org. La croisade dite « des Albigeois » (1209–1229) au sud de la France a entraîné des massacres de population estimés entre 200 000 et 1 000 000 de paysans cathares - en.wikipedia.org. À l’époque coloniale, des milliers de « baptêmes forcés » ont accompagné l’évangélisation des peuples autochtones. Bref, en Occident comme ailleurs, la religion a parfois servi de prétexte à la violence – le christianisme n’y échappe pas. Pourtant, on ne qualifie pas de « chrétiens violents » tous les croyants. Pourquoi dès lors affubler l’islam d’un stigmate unique, celui des sectaires kharidjites, alors que d’autres traditions ont commis les pires crimes - chabad.orgen.wikipedia.org ?
Prier en public, où est le problème?
La critique de Jean Messiha sur les musulmans priant dans les lieux publics (aéroports, avions, etc.) repose sur un amalgame absurde. En réalité, la prière islamique (salat) est effectuée tout en silence, sans aucun porte-voix ni appel à la violence. Dans de nombreux lieux publics, on aménage même des espaces de recueillement pour toutes confessions. Par exemple, plusieurs aéroports (Heathrow, Roissy, etc.) disposent de salles « multifaith » – un simple local de prière et de méditation où chacun peut se recueillir - en.wikipedia.org.
Et sur certains vols, les compagnies vont plus loin: la Saudia (compagnie nationale saoudienne) a carrément retiré une rangée de sièges sur ses gros porteurs pour créer un coin prière ! Un passager rapporte qu’à bord il « pouvait effectuer sa prière exactement comme on la fait au sol », aidé d’un écran LCD indiquant la trajectoire de l’avion pour déterminer la qibla (direction de La Mecque) - elmens.com. On le voit, il n’y a rien de violent ou même de visible dans ces pratiques: un tapis, un écran discret, et des fidèles qui s’inclinent silencieusement. Seuls ceux qui entretiennent la haine peuvent transformer un geste humble en supposée menace pour la société. À l’inverse, se battre pour le « droit de prier » ne s’est jamais soldé par des attentats; la vraie menace est ailleurs.

Double discours et amalgames grotesques
La frange islamophobe bascule facilement dans le deux poids – deux mesures. Ainsi, si des centaines de militants chrétiens occupaient un hall d’aéroport pour une prière collective, aucun Jean Messiha n’y verrait un « fascisme chrétien » menaçant les valeurs républicaines. Mais quand des musulmans prient calmement, on parle illico de « communautarisme » et de « bâton dans la roue de la laïcité ». C’est cette hypocrisie qui est insupportable: on exige d’un côté que la religion reste purement privée, et de l’autre on vilipende toute manifestation discrète de celle qu’on cible. Les amalgames vont plus loin: des actes criminels commis par quelques extrémistes kharijites finissent par « prouver » pour certains l’« essence violente » de l’islam, alors qu’on ne tient jamais la même accusation générale pour les extrémistes chrétiens ou juifs. Si l’on s’inquiétait autant du passé colonialiste ou religieux des régimes occidentaux, on entendrait au moins rappeler à l’ordre toutes sortes de responsables (églises, États) sans avoir à chercher midi à quatorze heures lorsqu’un musulman fait sa prière. Mais l’islamophobie fonctionne à sens unique: un prêtre qui récite un « Notre Père » publiquement n’est pas filmé par la police anti-terroriste.

Conclusions et perspectives
La vérité est que la violence politique contemporaine n’a jamais voulu dire religion. L’État islamique s’est approprié un discours religieux, mais c’est le produit de politiques guerrières et étatiques (Irak, Libye, Syrie) mensongèrement attribuées à l’islam lui-même - atlanticcouncil.orgtheguardian.com. Inversement, l’histoire musulmane et occidentale compte autant d’exemples de paix que de conflits. Il est absurde de vouloir réduire tous les musulmans d’aujourd’hui à l’ombre de groupes haineux. Au lieu de diaboliser les fidèles qui prient, on ferait mieux de pointer du doigt ceux qui ont financé et inspiré cette colère (dictateurs bafouant les droits, puissances qui ont détruit des États). Les principaux enseignements à retenir sont :
- Les guerres en Irak, en Libye ou en Syrie ont été conduites pour des motifs stratégiques et par des acteurs étatiques, pas par des croyants ordinaires. Ce sont ces ingérences qui ont fragilisé ces pays et créé le terreau de l’extrémisme - atlanticcouncil.orgtheguardian.com.
- L’islam possède lui aussi une longue tradition d’ouverture et de coexistence (statuts protecteurs, monde savant partagé, âge d’or intellectuel) - fr.wikipedia.orgjewishvirtuallibrary.org. Rien ne justifie d’en faire un bouc émissaire pour la violence d’aujourd’hui.
- Le christianisme a, quant à lui, une histoire marquée par des violences massives (croisades, inquisitions, colonisations) sans que les chrétiens « ordinaires » en soient tenus pour responsables - chabad.orgen.wikipedia.org. Il est donc injuste et absurde d’imputer à l’islam ce qu’on n’ose attribuer aux autres.
- Prier en paix est un droit fondamental : qu’il s’agisse d’une messe, d’une prière juive à la synagogue, ou d’un musulman en train de s’incliner, ces actes discrets ne font de mal à personne. L’indignation qu’on lui oppose révèle moins un problème réel qu’une volonté de nourrir la peur et la division.
En somme, les discours alarmistes comme ceux de Jean Messiha reposent sur des raccourcis historiques et un « deux poids deux mesures » injustifiable. Refusons ce récit simpliste : il appartient à chacun de réfléchir aux causes réelles de la violence (politiques, économiques, sociales), et de défendre la liberté de culte. Le véritable ennemi n’est ni l’islam ni aucune religion, mais bien les idéologies de haine qui cherchent à dresser les uns contre les autres. Respect, vérité et esprit critique sont les seuls remèdes à ces fausses peurs.
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