Cours 2 : Une Décennie Décisive : L'Émergence de Muhammad Ali et son Impact sur la Palestine

Dans notre premier cours, nous avons souligné que l'occupation de la Syrie par Muhammad Ali Pacha constituait un tournant historique. Cette période de dix ans fut, selon la source, une des moments les plus dangereux et décisifs de l'histoire islamique, ayant un impact profond sur la question de la Palestine et marquant une étape cruciale dans la renaissance de l'idée d'Israël.

L'Échec de Napoléon et ses Conséquences Inattendues

Nous pouvons brièvement mentionné l'appel de Napoléon aux Juifs pour qu'ils retournent en Terre Sainte. Cependant, l'échec de Napoléon devant les murs d'Acre et sa défaite dans sa tentative d'occuper la Syrie ont enterré ce projet de retour des Juifs en Palestine. Bien que cet appel ait été une première indication de la convergence potentielle entre les intérêts religieux juifs et les ambitions coloniales occidentales, il n'a pas abouti concrètement à cette époque.

Après l'expulsion des troupes françaises d'Égypte grâce à une alliance anglo-ottomane, les Français cherchèrent un nouvel allié en Égypte. Ils trouvèrent en Muhammad Ali, un officier ambitieux de l'armée ottomane, un homme qu'ils considéraient dangereux mais aussi impressionnant et admirateur de Napoléon.

L'Ascension de Muhammad Ali : Un Nouveau Pouvoir au Moyen-Orient

Muhammad Ali, avec le soutien interne de cheikhs et de notables égyptiens, mais aussi grâce à l'effort politique français auprès de l'Empire ottoman, devint le dirigeant de l'Égypte. Des historiens comme Élias al-Ayoubi ont souligné le rôle des Français dans cette nomination, s'appuyant notamment sur les mémoires de Ferdinand de Lesseps, dont le père était impliqué dans ces manœuvres diplomatiques.

Muhammad Ali est considéré comme l'homme le plus dangereux de l'histoire du Mashreq depuis 200 ans. Il réussit là où Napoléon échoua, se révélant un dirigeant autoritaire, ambitieux et d'une grande ruse. Il gouverna l'Égypte pendant près de 50 ans (de 1805 à 1848), transformant l'Égypte en un État moderne et centralisé sur le modèle occidental et laïc, tout en affirmant être un vassal du califat ottoman.

La Conquête de la Syrie : Un Tournant pour la Palestine

Bien qu'il ait été vaincu par les puissances occidentales dans ses guerres, Muhammad Ali remporta toutes ses batailles contre les musulmans, y compris la conquête de la Syrie. Son armée, composée d'Égyptiens et formée sur un modèle moderne, envahit la Syrie et l'arracha à l'Empire ottoman. Il défit les armées ottomanes et menaça même Constantinople, la capitale de l'Empire.

Cette expansion inquiéta les puissances occidentales (Angleterre, Russie et France), qui intervinrent pour stopper son avancée. Elles reconnurent son pouvoir sur l'Égypte et la Syrie. Cependant, après une autre décennie et divers événements, le règne de Muhammad Ali sur la Syrie prit fin, en échange de la reconnaissance de son pouvoir héréditaire sur l'Égypte.

L'Impact de la Domination de Muhammad Ali sur la Syrie (1831-1840)

Les dix années de domination de Muhammad Ali sur la Syrie, et en particulier son contrôle sur Jérusalem, furent des années charnières et décisives dans la renaissance de l'idée d'Israël. Sa politique en Syrie est décrite comme une politique d'occupation pure et simple, comparable, voire pire, que les occupations anglaise et française ultérieures. Le fait qu'il se présentait comme musulman et formellement soumis à l'Empire ottoman le rendait encore plus dangereux et sa résistance plus difficile.

Il faisait la promotion d'une politique qui accordait une facilitation totale aux étrangers au détriment des populations locales, favorisant notamment les chrétiens et les juifs par rapport aux musulmans.

Mesures Favorables aux Étrangers, aux Juifs et aux Chrétiens :

Encouragement de l'immigration juive en Égypte et leur intégration dans l'administration, mentionné par l'historien juif Michael Winter et Stanford Shaw. Une correspondance antérieure à l'occupation de la Syrie d'un Juif syrien à Muhammad Ali suggère même une organisation juive travaillant pour lui dans la région.

Suppression de toutes les taxes prélevées sur les pèlerins chrétiens et juifs se rendant à Jérusalem.

Réparation des monastères des moines grecs et construction d'un lazaret pour les pèlerins chrétiens, dont les fonds étaient laissés à la disposition des moines. Cette mesure est surprenante compte tenu de la politique économique monopolistique de Muhammad Ali.

Restauration et construction de nouvelles synagogues juives, avec neuf synagogues établies à Jérusalem avant même que son occupation de la Syrie ne soit stable. Des discussions eurent lieu au sein de la communauté juive pour savoir s'il fallait utiliser les fonds pour construire des synagogues ou des logements pour les nouveaux immigrants, indiquant un afflux migratoire juif important à Jérusalem. La même faveur fut accordée aux chrétiens pour la réparation et la construction de leurs églises, sans nécessiter l'autorisation des autorités, contrairement à l'époque ottomane.

Autorisation pour les étrangers d'entrer dans les lieux saints musulmans sous la protection des soldats de Muhammad Ali.

Permission accordée aux commerçants étrangers de commercer à l'intérieur de la Syrie, contrairement aux restrictions ottomanes qui les limitaient aux villes côtières.

Augmentation des taxes sur le commerce musulman jusqu'à sept fois le taux appliqué aux étrangers, et relâchement du contrôle gouvernemental sur le commerce étranger.

Organisation d'une entrée spectaculaire du consul britannique à Damas, ville intérieure à laquelle les Ottomans interdisaient l'accès aux étrangers, considérant la Syrie comme une terre islamique sacrée ("Cham Sharif").

Interdiction du commerce des navires ottomans en Syrie.

Autorisation pour les Juifs et les étrangers de créer des écoles en Syrie. Des Juifs fortunés créèrent des écoles modernes visant à former une élite juive orientale autonome.

Intégration des chrétiens et des juifs dans l'armée et l'administration, avec l'attribution de grades et de titres.

Première nomination de Juifs, de chrétiens, d'Arméniens et d'étrangers au conseil de Jérusalem (le conseil qui gérait les affaires de Jérusalem).

Octroi de licences pour des projets économiques et commerciaux à ces groupes, y compris l'utilisation de terres Waqf islamiques et de terres appartenant au Sultanat ottoman.

Première création d'un consulat étranger à Jérusalem en 1839, le consulat britannique, qui joua un rôle crucial dans la protection des Juifs et des protestants et devint un centre d'influence britannique et de diffusion du prosélytisme en Palestine. Le consul américain basé à Jaffa demanda également la nomination d'un adjoint à Jérusalem, marquant le début de l'activité américaine dans la ville.

Première tentative juive de s'approprier une partie de l'esplanade du Buraq (le Mur des Lamentations), avec le soutien du consul britannique et l'acquiescement de l'autorité égyptienne.

Statut juridique privilégié pour les Juifs et les chrétiens, où même une offense involontaire à leur égard par les soldats égyptiens était sévèrement punie, contrairement à la violence exercée impunément contre les musulmans. Des cas d'impunité pour des crimes commis par des Juifs sont mentionnés. En cas de rébellion, les communautés juives et chrétiennes étaient épargnées, même si des chrétiens faisaient partie des rebelles.

À l'opposé de cette faveur accordée aux non-musulmans, la source rapporte que Muhammad Ali fit confisquer certaines mosquées pour en faire des écuries pour ses chevaux. Les musulmans subirent une oppression terrible, et les biens Waqf islamiques furent l'objet d'une vaste spoliation, tandis que les Waqf chrétiens et juifs étaient protégés. De nombreux notables musulmans furent contraints de se placer sous la protection des consuls étrangers pour échapper à l'humiliation, à la conscription forcée et aux impôts élevés. Des musulmans de haut rang se retrouvèrent sous la protection de leurs anciens employés chrétiens ou juifs travaillant pour les consulats étrangers.

Un Changement Démographique et Social Majeur à Jérusalem

Ces conditions entraînèrent un bouleversement démographique à Jérusalem, où, pour la première fois, les Juifs devinrent majoritaires (6000), suivis des chrétiens (3000), les musulmans devenant minoritaires (600), selon les statistiques citées par l'historienne Karen Armstrong. Auparavant, sous la période ottomane, les musulmans représentaient 75 à 85% de la population.

Cette inversion démographique et politique entraîna une dégradation de la situation sociale et économique des musulmans, tandis que les Juifs et les chrétiens prospéraient.

La Vision de Moses Montefiore et l'Émergence de l'Idée d'un État Juif

Ce contexte favorable encouragea un riche Juif, Moses Montefiore, à envisager sérieusement un projet de réinstallation des Juifs en Palestine. Considérons cette initiative comme la tentative la plus significative avant celle de Herzl, le fondateur du sionisme. Montefiore chercha à acquérir de vastes étendues de terre (200 villages) avec des privilèges spéciaux en matière d'agriculture et de commerce. Il rencontra Muhammad Ali, qui se montra très favorable à ce projet et accepta de lui accorder une autonomie sur ces terres, à condition d'obtenir une autorisation du Sultan ottoman. Montefiore fonda des colonies agricoles, des projets industriels et le premier quartier juif en dehors des murs de Jérusalem, bénéficiant du soutien du consul britannique.

Selon le Dr. Abd al-Wahhab al-Messiri, cela contribua à transformer ces Juifs en un élément étranger déraciné et susceptible de devenir un groupe fonctionnel de colonisation, au service des intérêts étrangers.

La conséquence la plus grave de cette décennie fut la naissance de l'idée d'expulser les Juifs d'Europe et de créer un État pour eux en Palestine. Les aspirations juives religieuses se transformèrent en discussions politiques concrètes dans la presse, les parlements et les plans gouvernementaux.

L'Émergence d'un Sionisme Non-Juif :

Plusieurs figures non juives commencèrent à défendre l'idée du retour des Juifs en Palestine durant cette période :

Charles Fourier, un penseur socialiste français pourtant antisémite, proposa en 1835 ou 1836 dans son livre "La Fausse Industrie" de résoudre le "problème juif" en les expulsant d'Europe et en les installant en Syrie.

Lord Shaftesbury publia en 1839 dans la revue "Quarterly Review" un article soutenant l'idée que la Palestine était une terre appropriée pour le retour des Juifs, sous la supervision du consul britannique à Jérusalem, comme moyen de se débarrasser des Juifs en Europe .

En 1841, Shaftesbury présenta cette idée dans un document à Lord Palmerston, alors figure politique britannique majeure, soulignant les avantages de ce projet pour la Grande-Bretagne.

Le journal The Times écrivit que la question était devenue une véritable affaire politique.

Le journal londonien The Globe, proche du ministère des Affaires étrangères, publia une série d'articles en 1839 et 1840 soutenant l'installation massive de Juifs en Syrie, avec l'approbation de Lord Palmerston.

En 1840, Palmerston écrivit une lettre à l'ambassadeur britannique à Constantinople proposant la création d'un État juif en Palestine comme garantie contre de nouvelles agressions de Muhammad Ali en Syrie, présentant cet État comme fidèle au Sultan ottoman.

Le Colonel Churchill proposa en 1841 à Moses Montefiore la création d'un mouvement politique pour soutenir le retour des Juifs en Palestine.

Conclusion : Un Prélude à la Création d'Israël

L'idée de créer un État juif à cette époque n'aurait pas été possible sans la politique de Muhammad Ali en Syrie, qui a ravivé l'idée du retour des Juifs. Muhammad Ali est donc considéré comme le précurseur, voire le fondateur, d'Israël. Si les circonstances politiques internationales n'avaient pas contrecarré ses ambitions, Israël aurait pu voir le jour 50 ans plus tôt.

Les Obstacles Internationaux et la Question du Futur

La fin soudaine de la domination de Muhammad Ali sur la Syrie fut due à des raisons indépendantes de sa volonté. Les puissances européennes étaient réticentes à un conflit majeur avec l'Empire ottoman et avaient des intérêts divergents dans la région. L'intervention de la Russie en faveur du Sultan, face à l'avancée de Muhammad Ali, incita l'Angleterre et la France à agir également pour ne pas être laissées pour compte. Muhammad Ali, soutenu initialement par la France, fut finalement abandonné par le nouveau gouvernement français et fut vaincu en 1840, ce qui entraîna son retrait de Syrie en échange du maintien de son pouvoir héréditaire en Égypte.

Cette fin inattendue a freiné la création d'Israël et les projets juifs qui se développaient en Palestine. La question demeure alors : si les circonstances ont entravé la création d'Israël à cette époque et si l'Empire ottoman a retrouvé une partie de son pouvoir, pourquoi Israël a-t-il finalement été créé plus tard ?

Nous aborderons cette question cruciale dans notre prochain cours incha Allahou Ta3ala.

Nous espérons que ce deuxième cours vous a permis de mieux comprendre l'importance de la période de Muhammad Ali dans l'histoire de la Palestine et l'émergence des idées sionistes.

Pour approfondir vos connaissances, nous vous encourageons à consulter l'ouvrage suivant "خلاصة قصة فلسطين" (Résumé de l'histoire de la Palestine) de محمد إلهامي

Histoire de la Palestine #3
Bien que le projet de Mohammed Ali en Syrie ait échoué, son occupation a laissé des traces durables, notamment une influence étrangère accrue et des initiatives juives persistantes.