Histoire de la Palestine #4
Comment Herzl a réussi là où d'autres ont échoué
Genèse du mouvement sioniste : comment Herzl a réussi là où d'autres ont échoué
L'histoire de la Palestine reste, plus d'un siècle après ses débuts, une question brûlante. Comprendre les origines de ce conflit implique de se pencher sur la naissance et l'essor du mouvement sioniste, un projet qui a abouti à la création d'un État juif en Palestine, malgré la résistance de l'Empire ottoman.
Comment Theodor Herzl a-t-il réussi à concrétiser une idée que ses prédécesseurs n'avaient pu réaliser pendant 3000 ans ?
Pour saisir l'émergence du sionisme, il est essentiel de comprendre le contexte européen dans lequel il a pris forme. L'antisémitisme chrétien, ancré dans la croyance que les Juifs sont responsables de la mort de Jésus-Christ, a engendré des siècles de persécution en Europe et au Levant (sous domination chrétienne).
Cette hostilité a parfois conduit les communautés juives à s'allier avec les ennemis des chrétiens, intensifiant en retour l'animosité à leur égard. L'ouvrage de l'historien juif Shahin Makarios, Histoire des Israéliens, témoigne de ces persécutions en Europe, notamment au Moyen Âge.
Au-delà des motifs religieux, des facteurs politiques, économiques et sociaux ont alimenté l'antisémitisme. La nature parfois isolée des communautés juives, vivant souvent dans des ghettos et se concentrant sur certaines professions comme le commerce et le prêt à intérêt, a contribué à leur marginalisation et à la méfiance à leur égard.
Les dirigeants ont parfois instrumentalisé les minorités, y compris les Juifs, à leurs propres fins, mais ces alliances pouvaient se retourner contre les minorités en cas de changement de régime ou pour apaiser la majorité.
Un tournant important s'est produit à partir du XVIIe siècle avec l'essor de l'émancipation en Europe occidentale.
L'affaiblissement de l'influence de l'Église, la montée de l'État-nation, des lois laïques et de la citoyenneté ont progressivement amélioré la situation des Juifs. Ils ont pu accéder à des postes de responsabilité et ont prospéré financièrement.
La pièce Le Marchand de Venise de Shakespeare illustre les complexités de cette nouvelle situation, où la loi pouvait être invoquée par les Juifs, suscitant parfois des tensions avec les traditions chrétiennes.
Parallèlement, le mouvement protestant a favorisé un courant sioniste chrétien, voyant dans le retour des Juifs en Terre sainte un prélude à la seconde venue du Christ. Cependant, cette amélioration des conditions de vie ne s'est pas étendue à l'Europe de l'Est et à la Russie, où les Juifs sont restés une minorité persécutée, vivant dans la peur et subissant des pogroms.
L'assassinat du tsar Alexandre II en 1881, faussement imputé aux Juifs, a intensifié ces violences et provoqué une vague d'émigration vers l'Europe occidentale et l'Empire ottoman.
Cette émigration massive des Juifs d'Europe de l'Est a constitué un élément crucial du succès du projet sioniste. Contrairement aux Juifs occidentaux, qui étaient souvent réticents à l'idée de quitter leurs patries où ils avaient acquis une certaine stabilité, les Juifs orientaux cherchaient désespérément un refuge.
Leur situation a ravivé la "question juive" en Occident, amenant diverses factions (soutenant l'idéologie sioniste, les laïcs souhaitant se débarrasser des Juifs et les antisémites) à converger vers l'idée d'un État juif en Palestine.
Ironiquement, des figures influentes qui soutenaient le mouvement sioniste méprisaient souvent les Juifs, voyant dans leur émigration une solution à leurs propres problèmes. Ainsi, la création d'un foyer juif en Palestine est apparue comme une solution aux problèmes européens, payée par le peuple musulman.
C'est dans ce contexte qu'émerge la figure de Theodor Herzl, un journaliste juif autrichien. Intelligent et visionnaire, il a su utiliser le contexte politique de son époque pour faire avancer le projet d'un État juif en Palestine. Son succès reposait sur trois piliers principaux :
La possibilité réaliste créée par les politiques de Muhammad Ali en Palestine, où une présence juive et des activités commerciales existaient déjà, combinée à la faiblesse persistante de l'Empire ottoman.
La lecture des Journaux de Herzl, publiés en quatre volumes en anglais mais condensés en un seul volume en arabe par l'historien palestinien Anis Sayegh, est essentielle pour comprendre sa pensée.
La diffusion de l'idée nationale en Europe, qui prônait l'existence d'un État pour chaque nation. Le sionisme s'inscrivait dans cette logique en affirmant que les Juifs, en tant que nation sans État, avaient le droit d'en posséder un. Cette idée est développée dans son livre fondateur, L'État juif, publié en 1896.
L'année suivante, en 1897, le premier congrès sioniste à Bâle (Bâzel) en Suisse marquait le lancement concret du projet politique.
L'époque de l'impérialisme et de la domination européenne, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Herzl a compris que la création d'un État juif n'était possible qu'avec le soutien des puissances occidentales. Il a donc cherché à intégrer son projet dans leurs intérêts impériaux.
Herzl a déployé une intense activité diplomatique, voyageant à travers l'Europe et l'Empire ottoman pour convaincre les dirigeants occidentaux du bien-fondé de son projet.
Il a habilement présenté l'État juif comme une solution à plusieurs problèmes simultanément :
Aux Allemands, il a argué qu'un État juif en Palestine endiguerait l'afflux de Juifs russes vers l'Allemagne, stimulerait l'investissement européen et constituerait un rempart contre les ambitions françaises et russes.
De plus, cela empêcherait la Grande-Bretagne de contrôler seule les routes commerciales entre l'Orient et l'Occident.
Aux Britanniques, il a suggéré qu'un État juif sous leur protectorat leur assurerait le contrôle d'une route terrestre stratégique complémentaire au canal de Suez, renforcerait leurs intérêts coloniaux, fragmenterait l'Empire ottoman (leur rival) et freinerait l'expansion russe. De plus, les coûts de cette entreprise seraient supportés par les Juifs eux-mêmes.
L'argument religieux protestant de faciliter le retour du Christ était également un atout.•Aux Russes, il a présenté le projet comme une opportunité de se débarrasser de leur "problème juif" en les encourageant à émigrer vers la Palestine. Il a souligné que la culture russe de ces émigrants pourrait établir une influence russe dans la région, contrant ainsi l'expansion occidentale.
De plus, l'argent versé par les Juifs à l'Empire ottoman pour l'acquisition de terres pourrait indirectement financer des réformes bénéficiant aux chrétiens orthodoxes, sous la protection russe. Herzl a même pris soin de rassurer les Russes concernant le statut des lieux saints de Jérusalem.
Même le Vatican a été approché, avec la promesse que les lieux saints chrétiens ne seraient pas inclus dans les frontières du futur État juif.
Herzl a également rencontré le jeune dirigeant nationaliste égyptien Moustafa Kamel, pensant que l'expulsion des Britanniques d'Égypte pourrait renforcer l'importance stratégique de la Palestine pour la Grande-Bretagne et donc son soutien au projet sioniste.
Cependant, Herzl a rencontré une opposition inattendue de la part des Juifs eux-mêmes. Beaucoup étaient sceptiques quant à la viabilité du projet, se souvenant de siècles d'échecs et de persécutions.
Les autorités religieuses juives y voyaient souvent une manœuvre des antisémites pour les expulser d'Europe après leur récente émancipation. Le caractère laïc du mouvement sioniste a également alimenté leurs doutes.
Face à cette résistance, le mouvement sioniste a utilisé divers moyens pour mobiliser les Juifs, allant de la persuasion à la contrainte, voire à la violence. On peut dire qu'Herzl et le mouvement sioniste ont mobilisé les Juifs pour leur projet, plutôt que de simplement représenter leurs aspirations initiales.
Ironiquement, Herzl considérait les antisémites comme des alliés objectifs dans la réalisation de l'émigration des Juifs. Cette collaboration atteindra un point culminant avec la coopération entre le sionisme et le nazisme allemand pour encourager le départ des Juifs d'Allemagne.
La philosophie de Herzl pour la création d'un État juif reposait fondamentalement sur la puissance et les outils de l'impérialisme. Il avait compris que contrairement aux tentatives précédentes, un État juif en Palestine ne pourrait être établi que par les puissances coloniales, avec leurs armées et leurs intérêts stratégiques. C'est là le secret de son succès, là où d'autres avaient échoué pendant trois millénaires.
Cependant, cette approche a eu un coût tragique, Herzl étant prêt à accepter les souffrances des Juifs dans les pogroms pour les pousser à émigrer vers la Palestine. Dès le départ, il a rejeté l'idée d'une immigration juive progressive et d'une dépendance à l'égard du sultan ottoman, car cela aurait risqué l'échec et l'anéantissement du projet. Sa stratégie consistait à obtenir une décision des grandes puissances en faveur de la création d'un État juif, que le sultan y consente de gré ou de force.
C'est cette approche qui, selon lui, garantirait la réussite du projet, encouragerait l'immigration et attirerait le soutien financier des riches Juifs. La prochaine étape cruciale fut la confrontation entre Herzl et le sultan Abdülhamid II, dont l'issue sera déterminante pour l'avenir du projet sioniste.
