La Culture Dominante et son Emprise...
Pourquoi cet effort de "réforme" n’a-t-il pas porté ses fruits ? La réponse du cheikh est limpide : parce qu’il est né d’un complexe d’infériorité, et non d’une force intérieure.

Sous l’emprise de la culture dominante : le diagnostic puissant d’Ibrahim al-Sakran

"Le vaincu est toujours fasciné par le vainqueur." Cette célèbre phrase d’Ibn Khaldoun, extraite de sa Muqaddima, résume parfaitement le thème central du livre percutant de cheikh Ibrahim al-Sakran : سلطة الثقافة الغالبة ("L’Autorité de la culture dominante").
Dans cet ouvrage devenu référence, le cheikh revient sur un phénomène qui, bien que discret, a profondément façonné la pensée musulmane contemporaine : la soumission inconsciente à la culture occidentale dominante, perçue à tort comme synonyme de vérité, de progrès, et même de moralité.
Une hégémonie douce mais destructrice
Le cheikh démontre que cette domination ne s’est pas imposée uniquement par les armes ou l’économie, mais aussi par la pensée, les valeurs et le vocabulaire. Ce glissement sémantique est un levier majeur : des concepts profondément enracinés dans la révélation islamique, tels que la shûrâ ou le walâ’ wa-l-barâ’, sont vidés de leur sens originel pour être réinterprétés à travers le prisme de la culture occidentale.
Ainsi, la "modération" (wasatiyya), noble notion coranique, devient une excuse pour édulcorer l’islam et le rendre compatible avec les exigences libérales du moment. La shûrâ devient une démocratie parlementaire sans âme. Et le walâ’ wa-l-barâ’ s’efface au profit d’un patriotisme creux, coupé de toute référence à la Foi.
Le piège du mimétisme et le complexe d’infériorité
L’auteur remonte les racines de ce malaise à près de deux siècles, à l’époque de Rifa'a al-Tahtâwî et de Jamâl ad-Dîn al-Afghânî, figures pionnières de la "Nahda" (renaissance) qui, malgré leur sincérité, ont souvent véhiculé une forme de fascination envers l’Occident.
Pourquoi cet effort de "réforme" n’a-t-il pas porté ses fruits ? La réponse du cheikh est limpide : parce qu’il est né d’un complexe d’infériorité, et non d’une force intérieure.
Le philosophe algérien Malek Bennabi avait déjà diagnostiqué ce phénomène : une nation vaincue qui copie les autres non par admiration consciente mais par dévalorisation d’elle-même ne peut ni se relever, ni produire de grandeur.
Une subversion du Texte Révélé
L’un des points les plus alarmants soulevés par l’auteur est la tendance de certains penseurs contemporains à isoler le texte du Coran et de la Sunna de leur contexte de révélation, ignorant l’interprétation des compagnons du Prophète ﷺ et des savants des premières générations. Cette "herméneutique moderne", influencée par les courants philosophiques occidentaux, prétend offrir une lecture "actualisée" du texte. Mais elle ouvre en réalité la porte à un relativisme dangereux qui place des penseurs contemporains au-dessus des compagnons de l’Envoyé d’Allah ﷺ.
Le danger est immense : la dissolution des repères, le remodelage de l’islam au gré des idéologies et la perte de toute authenticité spirituelle.
Le faux renouveau du Fiqh et la dictature du goût occidental
Une autre critique majeure du cheikh al-Sakran concerne le slogan répété à l’envi : "il faut renouveler le Fiqh pour qu’il s’adapte à notre époque". S’il est vrai que l’ijtihâd est un outil vivant dans l’islam, il devient un poison quand il est mis au service d’une seule idée : plaire à la culture dominante.
C’est ce que le cheikh appelle la "souveraineté du goût occidental" : on ne juge plus les cultures humaines à l’aune du Coran, mais l’inverse. On mesure la validité des textes à leur degré de conformité avec les sensibilités modernes. Or, c’est l’humain qui doit s’élever vers le divin, et non l’inverse.
Quelle issue face à cette colonisation intellectuelle ?
Le message du cheikh n’est pas pessimiste. Il est lucide et constructif. Le remède est clair : rebâtir une âme musulmane fière de son identité, éduquer sur la valeur du savoir islamique, et reconnecter les cœurs aux sources authentiques.
Il appelle à raviver la grandeur du message islamique, non en opposition haineuse, mais en affirmant une altérité lucide, confiante, fondée sur la révélation et le respect du legs des Pieux Prédécesseurs.
Une lecture indispensable
C'est un livre ( سلطة الثقافة الغالبة ) que chaque musulman devrait lire. Il ne se contente pas de dénoncer un état de fait. Il ouvre les yeux, provoque des déclics, et pousse à un sursaut.
Qu'Allah Ta3ala libère le cheikh Ibrahim al-Sakran, renforce sa science, et fasse de ses écrits une lumière pour cette Oummah. Amîn.