La Guerre au Voile : Une Hostilité « Hijabophobe » à Travers l’Histoire
Le général Eugène Daumas, administrateur clé dans les années 1860, exprimait clairement sa stratégie : « si je parvenais à déchirer le voile qui couvre encore les mœurs, les coutumes... ».

Le voile islamique, reflet de la religion des musulmans, est une prescription religieuse et un pilier de l’identité islamique. Cependant, il a historiquement suscité la méfiance et l’hostilité des adversaires de l’islam. Des puissances coloniales aux dirigeants laïcs autoritaires, une lutte constante contre la femme musulmane et son voile a été menée à travers les siècles, employant divers moyens allant des médias à la contrainte légale, en passant par la propagande et la séduction. Cette « guerre contre le hijab », cette hostilité que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d' "hijabophobie", révèle une longue histoire de tentatives d’éradication d’un symbole religieux et identitaire profondément enraciné.
Les Prémices au XVIe Siècle : Le Cas des Morisques d’Espagne
Les premières musulmanes à subir ces attaques furent les Morisques, terme désignant les musulmans d’Espagne convertis de force au catholicisme après la prise de Grenade en 1492, mais restés fidèles à l’Islam. Malgré une première période de tolérance religieuse, la situation se détériora rapidement avec l’arrivée de colons et la conversion de mosquées en églises. Après une révolte en 1499, les Rois Catholiques décrétèrent l’expulsion des musulmans de la Couronne de Castille. Ceux qui restèrent dans la Couronne d’Aragon virent leurs pratiques culturelles et religieuses de plus en plus restreintes. En 1526, Charles Quint préconisa l’interdiction de nombreux aspects cultuels et identitaires de l’islam, incluant le voile des femmes morisques. Les Morisques furent considérés comme un bastion du refus de l’assimilation en Espagne, et leur expulsion définitive en 1609 marqua une étape tragique de cette première « guerre au voile ».
L’Ère Coloniale : L’Algérie et l’Égypte, Laboratoires de l’Impérialisme Culturel
Avec l’affaiblissement des mondes islamiques au XVIIIe siècle, la colonisation et l’impérialisme européen au XIXe siècle ont intensifié cette hostilité envers le voile …. L’Algérie, colonie française à partir de 1830, devint un « laboratoire de l’impérialisme culturel occidental », où le voile et le haïk de la femme musulmane furent très tôt perçus comme un enjeu d’hégémonie culturelle pour les colons. Le général Eugène Daumas, administrateur clé dans les années 1860, exprimait clairement sa stratégie : « si je parvenais à déchirer le voile qui couvre encore les mœurs, les coutumes, les idées justes ou fausses de ce peuple, il deviendrait plus facile de lui choisir habilement les remèdes qui pourraient convenir le mieux ». La stratégie de l’administration occupante était de « conquérir les femmes, aller les chercher derrière le voile où elle se dissimule », visant à « émanciper les femmes algériennes pour désarmer la rébellion, détruire l’ultime rempart de l’identité des dominés ».
Cette approche atteignit un paroxysme durant la guerre d’Algérie. En 1958, une cérémonie de dévoilement de femmes musulmanes fut organisée en soutien aux colonisateurs, orchestrée par Madame Salan et le cinquième bureau, spécialiste de la guerre culturelle. Des femmes, souvent des domestiques et employées menacées, furent manipulées pour se dévoiler publiquement et brûler leurs voiles. La propagande et l’érotisation des femmes musulmanes furent utilisées comme armes, allant parfois jusqu’à des actes de sadisme pour forcer le dévoilement. La violence physique fut également employée, avec des soldats dévoilant de force des femmes musulmanes pour les humilier, parfois prélude à des viols.
En Égypte, sous occupation britannique à partir de 1882, une hostilité similaire envers le voile se manifesta. Evelyn Baring, dirigeant britannique, considérait la « position des femmes en Égypte et dans les pays musulmans en général [comme] un obstacle fatal à l’atteinte de cet élévation de pensées et de caractères qui devrait accompagner l’introduction de la civilisation occidentale ». Les Britanniques promurent des penseurs égyptiens favorables à leurs vues, tel Hassim Amine, dont le livre critiquant le voile fut activement diffusé. Même après l’indépendance de l’Égypte en 1922, le paternalisme occidental persista, avec la figure d’une Égyptienne influencée par le féminisme occidental qui abandonna son hijab et organisa un dévoilement public en 1930, applaudi par la presse occidentale ….
L’Époque des Indépendances et des Tentatives de Modernisation Forcée
La contestation de l’impérialisme occidental n’a paradoxalement pas toujours signifié la fin de la « guerre au voile ». Dans l’Est de l’Europe, la révolution bolchevique en Russie en 1917, tout en se présentant comme anti-impérialiste, a rapidement montré un « fanatisme et paternalisme occidental vis-à-vis du voile ». Des figures comme Alexandra Kollontaï décrivaient le voile comme « un attribut anti-hygiénique ». Le pouvoir bolchevique multiplia les affiches de propagande ridiculisant le voile et organisa des dévoilements publics forcés, notamment en Ouzbékistan en 1927 ….
Dans le monde musulman, certains dirigeants, influencés par les modèles occidentaux, ont également tenté d’éradiquer le hijab. En Turquie, après la proclamation de la République en 1923, Mustafa Kemal Atatürk imposa la laïcité par la force et s’attaqua ouvertement aux vêtements religieux, y compris au voile, le considérant indigne d’un peuple civilisé …. Des campagnes d’incitation au dévoilement furent menées, et le voile fut interdit dans les administrations et écoles publiques.
Des tentatives similaires, bien que rencontrant une forte résistance, furent menées en Afghanistan par le roi Amanullah dans les années 1920, qui chercha à occidentaliser les mœurs et à interdire le voile, provoquant une révolte qui le força à l’abdication6 . En Iran, Reza Shah lança en 1936 une interdiction du port du voile sous toutes ses formes dans les lieux publics, appliquée rigoureusement, entraînant une régression du niveau éducatif féminin dans les milieux traditionnels et des actes de violence policière contre les femmes voilées.
Même dans des contextes de nationalisme arabe laïc, comme en Syrie sous Hafez al-Assad à partir de 1970, le régime s’est montré hostile au voile, allant jusqu’à des agressions de femmes voilées dans la rue par des brigades militaires en 1981 . En Tunisie, après l’indépendance en 1956, Habib Bourguiba, fasciné par la laïcité occidentale, mena une politique de démantèlement des traditions islamiques, incitant les Tunisiennes à ôter leur voile, qu’il qualifiait de « linceul » ou de « misérables chiffons », et l’interdisant dans les écoles et administrations.
La Résistance : Des Voix Féminines Face à l’Hostilité
Face à cette « guerre au voile », des femmes musulmanes ont résisté avec courage. En Tunisie, la savante Hinda Chalabi, professeur et musulmane discrète, s’est élevée contre les politiques de Bourguiba. En 1975, portant le hijab et le voile traditionnel tunisien, elle prononça un discours sur le statut de la femme en Islam en présence du gouvernement, critiquant la politique de Bourguiba comme contraire au Coran et à la Sunna. Malgré les difficultés et les ennuis que son insoumission lui valut, elle incarna une « lumière de courage et de piété pour toutes les musulmans dans la nuit moderne ».
Conclusion
L’histoire, révèle une longue et persistante « guerre au voile », une hostilité « hijabophobe » qui a pris diverses formes à travers les époques et les régions. Des persécutions des Morisques aux tentatives de modernisation forcée dans le monde musulman, en passant par l’instrumentalisation du dévoilement durant l’ère coloniale, le hijab a été perçu par de nombreux acteurs comme un obstacle à surmonter, un symbole à éradiquer. Cependant, la résistance des femmes musulmanes, fières de leur identité religieuse, témoigne de la force et de la signification profonde de ce voile, qui continue d’être un enjeu dans les débats contemporains.
