Le Devoir de Sortir de l’Ingratitude : Une Perspective Coranique Basée sur la Sourate Al-‘Adiyat

La Sourate Al-‘Adiyat (Sourate 100 du Saint Coran) est un chapitre poignant qui invite à la méditation et à l’introspection sur la condition humaine. Bien que sa cause de Révélation soit sujette à débat parmi les savants, certains la situant dans le contexte d’une expédition militaire (médinoise) et d’autres y voyant un message plus universel (mecquoise), elle éduque intrinsèquement l’être humain.

Au cœur de cette Sourate, se trouve un Verset central qui met à nu une réalité fondamentale de l’homme : « Certes, l’homme est très ingrat envers son Seigneur« . Ce verset,  » Innal Insana Li Rabbihi Lakanouud « , est considéré comme le « centre névralgique » et l’élément d’éducation Coranique principal de cette Sourate.

Le terme utilisé,  » kanouud « , est décrit comme ayant un caractère plus évocateur que  » kafir  » (ingrat). Il s’agit d’un mélange d’ingratitude, de nombrilisme et de narcissisme, des réalités qui façonnent très souvent l’être humain qui n’a pas été éduqué par le Coran. Cette ingratitude est profonde, et l’homme (et la femme) est intrinsèquement porteur de ce trait. C’est à lui/elle de le combattre.

Une scène d’une telle beauté, à méditer

La Sourate débute par une scène intense décrivant des chevaux (ou dromadaires selon d’autres interprétations) courant à vive allure, dans un effort extrême, soulevant la poussière et attaquant l’ennemi le matin… Cette scène, en apparence déconnectée du Verset sur l’ingratitude, sert d’introduction puissante. Pourquoi ? Elle met en perspective le sacrifice total et l’effort immense de ces créatures, parfois même jusqu’à la mort, pour leur cavalier ou dans le cadre d’une adoration (comme le Hajj). L’éloquence ici est frappante : ces  » animaux « , dénuées de raison, font preuve d’une forme de gratitude et de fidélité envers leur maître ou leur mission extraordinaire.

Une grandissime transition

La transition de cette scène extérieure à l’introspection est abrupte et intentionnelle. Après avoir juré par ces créatures et leurs actions intenses, Allah Le Sublime évoque et affirme l’ingratitude de l’homme. La comparaison implicite est un reproche cinglant : vous, humains, dotés de raison, n’êtes même pas capables (très souvent) d’atteindre le niveau de fidélité/gratitude de ces animaux. Certes, Allah Le Très Haut, se suffit à Lui-même (Al-Ghaniy, Al-Qayyum) : Il n’a pas besoin de notre reconnaissance… Mais Il nous a envoyé Sa religion et Sa guidance pour notre propre bien-être et bonheur et malgré cela, l’homme tourne le dos et se montre ingrat.

Le devoir de sortir de cette ingratitude découle de cette mise à nu de notre condition. Comment s’y prendre, selon les Enseignements tirés de cette Sourate et de la discussion ?

1.

Reconnaître et affronter l’ingratitude en soi : L’être humain a tendance à se mentir à lui-même. Bien qu’il soit souvent clairvoyant quant aux défauts des autres, il est incapable de s’observer lui-même de la même manière. Pourtant, dans la solitude, cette capacité d’introspection existe et doit être cultivée secrètement. L’éducation Coranique vise à transformer cette condition humaine en celle de Abdullah (serviteur d’Allah), nous arrachant à notre volonté propre pour nous soumettre à la Volonté Divine et nous élevant de notre « condition bestiale ».

2.

Cultiver la station de Ghuraba (étranger) : L’ingratitude est la règle pour la grande majorité de l’humanité non éduquée par le Coran. Pour le croyant, cela implique d’accepter de se sentir étranger (« anticonformiste« ) parmi ceux qui suivent le modèle de la dunya (ce bas monde). Cette étrangeté spirituelle s’approfondit à mesure que l’on se rapproche d’Allah. La seule manière de supporter cette étrangeté et de rester ferme est de fortifier sa relation avec Allah Le Très Haut.

3.

Ne pas utiliser les bienfaits pour désobéir : L’une des pires formes d’ingratitude est de se servir des bienfaits qu’Allah nous a accordés pour L’utiliser dans la désobéissance. Les bienfaits sont destinés à nous rappeler Sa miséricorde et nous pousser à L’aimer et Lui obéir davantage.

4.

Apprendre à gérer l’ingratitude dans les relations humaines : L’ingratitude se manifeste fortement dans les relations, qu’elles soient conjugales, familiales, ou communautaires. Pour surmonter les difficultés relationnelles causées par l’ingratitude (la sienne ou celle de l’autre), il faut accepter les défauts intrinsèques de l’autre et observer le positif plutôt que le négatif. Par exemple, dans le couple, il faut accepter les spécificités et les parts d’ingratitude liées à la nature masculine et féminine. Dans l’éducation des enfants, il faut accepter que leur émancipation puisse parfois ressembler à de l’ingratitude, car le but est de les ancrer dans le Tawhid (monothéisme) et leur soumission à Allah. De même, celui qui œuvre pour la Dawa (l’appel à l’Islam) doit accepter un niveau élevé d’ingratitude de la part des gens, y compris les plus proches.

5.
Transformer les relations en les centrant sur Allah (SincéritéIkhlas) : Le secret fondamental pour gérer l’ingratitude des créatures est de passer d’une relation horizontale (créature – créature) à une relation verticale (créature – à travers – créature – pour -Créateur). Lorsque l’on agit pour l’amour d’Allah et pour Lui plaire, l’ingratitude de l’autre n’atteint plus de la même manière. L’action devient une ibada (acte d’adoration), et sa récompense vient d’Allah. C’est le cœur de l’Ikhlas, la sincérité, qui est la clé des relations réussies. En mettant Allah Le Tout Puissant au centre de nos relations, nous atteignons un apaisement basé sur la lucidité : les créatures sont imparfaites, et c’est vers le Parfait que nous devons nous tourner.

Conclusion

La Sourate Al-‘Adiyat se conclut en mentionnant le Jour du Jugement et le nom d’Allah Al-Khabir (Celui qui est parfaitement connaisseur, Celui qui informe). Ce Jour-là, Allah nous informera de la réalité de nos actions et de nos intentions, y compris notre ingratitude. Cela sert de rappel et de motivation : même si nous parvenons à nous mentir à nous-mêmes ou aux autres, la réalité sera révélée par Al-Khabir.

En revanche, celui qui aura lutté contre son âme ingrate et se sera tourné vers Allah découvrira la lumière et la sincérité de ses actions, recevant bien plus qu’il n’espérait.

En somme, la Sourate Al-‘Adiyat ne se contente pas de décrire l’ingratitude humaine, elle nous met face à cette réalité et nous appelle à la dépasser. C’est un devoir pour le croyant que de s’élever au-dessus de cette condition naturelle en reconnaissant la grandeur d’Allah, en cultivant la sincérité (Ikhlas), et en réorientant ses actions et ses relations vers Le Créateur, s’inspirant par contraste de l’effort dévoué de la création mentionnée au début de la Sourate.